Je suis souvent sollicitée pour appuyer l’intégration du genre dans des projets de développement, notamment en Afrique francophone. Très souvent, mes clients me demandent par où commencer. Je leur réponds que la première étape consiste en l’analyse du contexte au prisme des inégalités de genre. L’analyse nécessite en général un approfondissement via des enquêtes sur le terrain pour affiner les enjeux de genre identifiés. Et ce n’est qu’à partir de là que l’on pourra envisager des pistes d’action pour le projet. Dans le secteur des médias au Sahel par exemple, j’ai décidé de mettre à disposition en pro bono quelques éléments pouvant servir de cadrage en matière de diagnostic de genre à faire réaliser avant toute intervention. Les voici👇
Le concept de genre permet d’analyser les stéréotypes, inégalités et discriminations
Le genre est un concept sociologique, théorisé au début des années 1970, qui désigne tout ce qui construit socialement ou culturellement la différence entre les sexes. Il permet d’insister sur le fait que les catégories « hommes » et « femmes » sont le résultat d’une fabrication sociale qui va au-delà du sexe biologique. Le concept de genre est comparable à celui de rapports sociaux de sexe, auquel s’ajoute la dimension conflictuelle et relationnelle des catégorisations qu’il engendre.
Une des définitions qui peut être retenue du genre est la suivante : « Un système de bicatégorisation hiérarchisée entre les sexes (hommes/femmes) et entre les valeurs et représentations qui leur sont associées (masculin/féminin).» Laure Bereni, Sébastien Chauvin, Alexandre Jaunait et Anne Revillard, Introduction aux Gender Studies, 2012.
Cette définition comprend la remise en question de la binarité hommes/femmes et des attributs qui leurs sont associés. En d’autres termes, le genre permet de mettre en exergue des inégalités, des stéréotypes et des discriminations associés aux catégories femmes et hommes dans nos sociétés. S’il enferme toutes les personnes dans une catégorie socialement circonscrite et restreinte, le genre impacte disproportionnellement les femmes et les groupes non-binaires de genre, notamment LGBTQI. Ainsi, 28 % des gens dans le monde – toutes identités confondues – pensent qu'il est « normal qu’un homme batte sa femme » et plus d’une femme sur trois déclare avoir déjà subi des violences physiques et/ou sexuelles dans sa vie.
Quelques exemples d’inégalités de genre au Sahel
Au Sahel, ces inégalités de genre sont encore plus profondes que dans d’autres régions du monde. Les filles y sont sous-scolarisées, entraînant un taux d’alphabétisme des femmes de 32,5% contre 51% pour les hommes dans la région. Cela est due notamment aux représentations des familles et des communautés qui investissent plus sur l’éducation des garçons que des filles, ces dernières étant encore cantonnées à une fonction sociale de (future) mère, d’épouse, au sein du foyer. De plus, le manque d’accès à l’éducation pour les filles est accentué par le climat d’insécurité conduisant à la fermeture de 3 300 écoles au Mali, Niger et Burkina Faso en décembre 2019, et des craintes supplémentaires quant aux violences basées sur le genre pouvant survenir sur les trajets hors du foyer.
Cette différence d’accès à l’éducation conduit également à une présence moins importante des femmes dans la sphère économique, politique et médiatique. La Mauritanie par exemple est classée en dernière position sur l’entrepreneuriat des femmes en Afrique par la Banque mondiale. Au niveau politique, les femmes n’y occupent qu’un siège parlementaire sur cinq. La représentation des femmes hors de la sphère étant encore limitée, cette inégalité de genre s’observe aussi dans le secteur des médias, que ce soit vis-à-vis des expertes invitées ou des journalistes. On compte ainsi moins de 30% de femmes parmi les journalistes et les animateurs·rices vedettes des médias d’Afrique francophone. A la croisée de ces secteurs, une enquête publiée par CFI en 2018 recense seulement 18,2% de femmes parmi les acteurs·rices de la Civic Tech au Sénégal.
Lorsqu’elles arrivent à dépasser les fonctions qui leur sont traditionnellement assignées, les femmes s’exposent un contexte systémique de violence à leur encontre, emprunt de contrecoups. Ainsi, 73% des femmes journalistes dans le monde déclarent avoir déjà subi des violences sexistes en ligne dans le cadre de leur travail.
Au Tchad, une étude de 2018 sur le genre et la résilience souligne : « La violence à l’égard des femmes fait partie d’un contexte patriarcal au Tchad, (et dans le reste du monde), où le statut des femmes est dominé par celui des hommes et par un ensemble de normes sociales discriminatoires à leur encontre. [...] Les inégalités basées sur le genre (où sur l’âge ou sur l’ethnicité), limitent ainsi les capacités des jeunes, des filles et des femmes d’accéder aux ressources et de participer aux prises de décisions d’agir en tant que leaders, ce qui constituent de graves entraves au développement résilient des communautés et une violation des droits humains. »
Cet extrait rappelle d’ailleurs que le genre est entendu comme un miroir de rapports de pouvoir, et qu’il ne peut être déconnecté d’autres rapports sociaux, basés sur l’ethnie, la classe, l’âge, le handicap ou tout autre facteur de discrimination. Dès lors, l’analyse du genre dans les médias au Sahel doit également prendre en compte le concept d’intersectionnalité – théorisé par l’universitaire américaine Kimberlé Crenshaw– pour parler de la situation de personnes qui vivent simultanément plusieurs formes d’oppression dans une société.
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