En 2019, le Président Emmanuel Macron s’est donné pour ambition de compter 25 licornes françaises (start-up valorisée à plus d’un milliard d’euros) d’ici 2025. Malgré la crise pandémique de Covid-19, la “French Tech” a explosé les levées de fonds en 2021 à hauteur de 11,6 milliards d'euros. Si la situation économique et financière de ces start-up semble s’améliorer, les avancées sociales sont de leur côté plus contrastées. Qu’en est-il donc du point de vue du genre ?
Des inégalités en défaveur des femmes et des filles
Une étude publiée en 2022 du cabinet Gender Scan souligne que la proportion des femmes dans le numérique en 2020 est semblable à celle de 2012. De plus, elle reste inférieure à 20% des effectifs salariés. Ainsi, les inégalités de genre dans le secteur du numérique et de la technologie ne se résorbent pas avec le temps. Pourquoi ? Car certaines politiques publiques ne prennent pas en compte le genre, et les stigmates sociaux persistent.
Au niveau de la formation, même si le nombre de femmes diplômées dans le secteur de la Tech est plus fort qu’en 2013, la récente réforme du lycée de 2019 par le ministre de l’Education Nationale, Jean-Michel Blanquer, a renforcé les inégalités. Entre autres, les élèves de première ont la possibilité de choisir trois enseignements, et en terminale de n’en suivre que deux parmi les trois. Depuis, les filles sont encore moins nombreuses qu’avant dans les filières scientifiques comme les mathématiques, et cela d’autant plus que leur niveau augmente. D’après le Ministère lui-même, la part des filles en spécialité mathématiques a diminué de 10 points entre la première et la terminale, passant de 48,1% à 39,8% en 2021. De même, en 2021, 13,7 % d'entre elles ont choisi la spécialisation Numérique et Sciences Informatiques en terminale générale, contre 80,6% pour Humanité, littérature et philosophie. Ces inégalités se poursuivent dans l’emploi. Entre 2011 et 2019, la part des femmes dans les métiers de la moyenne et haute technologie a chuté de 14% en France.
Cette sous-représentation des femmes dans le numérique est aussi liée à la question de l'entrepreneuriat: la dernière étude du Conseil Economique, Social et Environnemental montre que 23% des femmes étaient dans une démarche entrepreneuriale contre 37% des hommes. Ainsi, 90% des fonds levés pour les start-ups en France sont détenus par les hommes. Cette inégalité s’observe également à l’échelle mondiale : le récent rapport du Global Entrepreneurship Monitor souligne d’ailleurs que plus le niveau de revenus d’un pays est élevé, moins les femmes se lancent dans l’entrepreneuriat par rapport aux hommes.
Plus grave encore, les femmes sont non seulement en minorité dans ces filières, mais celles qui les occupent sont plus touchées par le harcèlement moral et les violences sexistes et sexuelles que les hommes, que ce soit durant leurs études ou au travail. Par exemple, suite à un questionnaire soumis à 3 400 étudiant·e·s de l'institut Polytechnique entrés entre 2018 et 2021, 23% des femmes déclarent avoir subi une agression sexuelle (frottement, attouchement des parties sexuelles…) et 11 personnes, dont 10 femmes, ont affirmé avoir subi un viol ou une tentative de viol.
Les raisons : des stéréotypes de genre persistants
Les raisons de ce plafond de verre technologique s’expliquent notamment par le sexisme ancré dans les mentalités collectives et qui se répercutent sur les conditions de travail et de vie des femmes.
Dès leur plus jeune âge, les filles font face à des représentations stéréotypées. L’idée persiste que les filles seraient moins bonnes en mathématiques que les garçons. De même, elles donnent l’impression de toujours donner le maximum de leurs efforts tandis que les garçons, s’ils sont moins bons, sont excusés par une attitude plus désinvolte mais qui se corrigera par le futur pour prouver leur potentiel. Finalement, cela engendre un manque de confiance des filles (et plus tard des femmes) en leurs propres capacités et les pousse à progressivement s’auto-censurer dans leur choix de filière. Finalement, dès leur entrée dans le secondaire et à compétences égales, les filles choisissent moins vers les filières scientifiques et in fine, s’orientent peu vers des écoles d’informatique ou d’ingénieur.
Concernant le milieu de la Tech, même s’il est perçu comme jeune et innovant, il n’en reste pas moins épargné par la force des stéréotypes. La perception de la place des femmes dans le numérique est le miroir des stigmates : généralement, une femme voulant réussir est synonyme d’arrogance, à l’inverse de l’homme qui est considérée comme ayant de l’ambition. De même, l’expression du “start-upeur” est beaucoup plus employée que celle de la “start-upeuse”, ce qui contribue à les invisibiliser, sans oublier que tous les assistants vocaux (Siri, Alexa…) sont préconfigurées avec des voix de femmes : “polie et toujours à votre service”. Il est toutefois à noter que Google a développé une voix non-genrée avec son Assistant. La crise sanitaire n’a par ailleurs pas aidé à améliorer la situation. Toujours d’après l’enquête de Gender Scan, 63% des femmes se déclarent satisfaites de l’équilibre vie professionnelle contre 87% des hommes en 2021.
Quelles solutions pour faire avancer l'égalité de genre ?
Il apparaît donc nécessaire d’intégrer la question du genre dans le secteur du numérique. De nombreuses solutions à court, comme à long terme, peuvent être mises en place :
A l’échelle de l’enseignement secondaire et supérieur, les femmes doivent être encouragées et soutenues dans leur choix de filière. Il est aussi nécessaire de former toutes les parties prenantes : étudiant·e, enseignant·e, direction, personnel sur ce sujet. Enfin, il s’agit d’instaurer un cadre de sécurité avec l’institutionnalisation de la question des violences sexistes et sexuelles
La sensibilisation du grand public est aussi fondamentale, qu’elle soit au travers d’ateliers, des réseaux sociaux ou encore du mentorat. En mettant en visibilité des initiatives portées par des femmes, les stigmates de genre peuvent être affranchis. Parallèlement, cela permettra d’encourager et d’accompagner les femmes dans leur insertion socioprofessionnelle. Esfand accompagne par exemple l’association UniR pour son programme de mentorat entre femmes Intercultur’elles, et forme ses membres. De même, notre cabinet a organisé à un Facebook live sur "La place des femmes dans les Civic Tech" dans le cadre du projet Connexions Citoyennes de CFI afin de discuter des freins à la participation des femmes dans ce milieu et partager des astuces pour les contourner.
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