La reconnaissance du « féminicide » a beau faire débat, les faits sont là : chaque jour, 137 femmes sont assassinées par un·e membre de leur famille. Cela revient à dire qu’une femme est tuée toutes les 10 minutes par un·e proche. Ces données mondiales révélées par l’ONU précisent que pour un tiers d’entre elles, l’auteur des faits est leur (ex-)conjoint et que ce type de violence touche majoritairement les femmes et les filles. Universel, ce fléau est aussi plus prépondérant en Asie et Afrique. Mais pourquoi ?
Stéréotypes, discriminations, inégalités, violences : le cercle vicieux
Cette triste réalité répond à une logique patriarcale et des rapports de genre qui placent encore les femmes – et toute représentation ou identité associée au « féminin » – dans un rapport asymétrique vis-à-vis des hommes, subordonnées au pouvoir « masculin ». Globalement, 9 personnes sur 10 ont encore des préjugés envers les femmes, ce qui favorise les violences à leur égard. Ainsi, 28 % des gens dans le monde – toutes identités confondues – pensent qu’il est « normal qu’un homme batte sa femme » et plus d’une femme sur trois déclare avoir déjà subi des violences physiques et/ou sexuelles dans sa vie. Aussi, les mariages, grossesses et rapports sexuels forcés ainsi que les mutilations génitales touchent encore des millions de filles et d’adolescentes à travers le monde. Et dans le contexte de crise COVID-19, le confinement a engendré une hausse de 40 % des cas de violences enregistrés dans plusieurs pays.
Par ailleurs, les violences faites aux femmes s’inscrivent dans un cercle vicieux. L’isolement, les contraintes familiales, l’absence de confiance en soi et d’accès à d’autres ressources complémentaires (éducatives et/ou financières) les expose davantage aux violences, aux discriminations et aux inégalités que les hommes. Par exemple, le stéréotype de genre selon lequel « la place des femmes est à la maison » peut alimenter des pratiques discriminatoires et autres actes violents à l’égard de celles qui ne se conforment pas au cadre établi. Réciproquement, les violences isolent souvent les femmes chez elles, venant ainsi conforter le stéréotype initial associé aux femmes. De plus, certains facteurs de vulnérabilité peuvent se chevaucher et augmenter le degré d’exposition aux violences selon les sociétés. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il est nécessaire de croiser le sexe, l’identité de genre, l’orientation sexuelle, l’âge, l’appartenance ethnique ou encore le niveau d’éducation lorsqu’on s’intéresse au sujet.
Il existe notamment un lien entre le niveau d’éducation et l’exposition aux risques de violences. Une étude menée en Éthiopie montre par exemple que les femmes qui vivent dans des communautés rurales et analphabètes seraient plus susceptibles d’accepter des croyances et des normes favorisant la violence à leur égard que les femmes alphabétisées qui vivent en milieu urbain. D’autres études montrent aussi ce lien dans des pays d’Asie. En Inde, les femmes illettrées auraient deux fois plus de risques que les femmes alphabétisées d’être victimes de violences. Au Bangladesh, près de 80 % des hommes illettrés et semi-alphabétisés reconnaissent avoir commis au moins un acte de violence (physique, émotionnelle ou sexuelle) contre leurs épouses, contre 63,6% des hommes alphabétisés – une part encore très élevée. De plus, le HCR rappelle que si toutes les filles recevaient un enseignement secondaire, le nombre de mariages de mineures serait réduit de presque deux tiers, et 59% de moins de filles seraient enceintes en Afrique subsaharienne et en Asie de l’Ouest.
Près de 40 pays ne disposent pas de loi contre les violences domestiques
Prévenir et lutter contre les violences faites aux femmes passe donc en premier lieu par l’adoption d’une perspective systémique sur les facteurs sous-jacents, en s’intéressant notamment aux représentations socio-culturelles et à l’inégal accès aux ressources basés sur le genre. Inscrite par tous les États comme un Objectif de Développement Durable à atteindre d’ici 2030, l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes apporterait non seulement d’importances bénéfices sociaux, mais aussi un gain économique mondial, estimé à 12 000 milliards de dollars par l’ONU.
Mais cet objectif semble difficilement atteignable, puisque près de quarante pays n’offrent toujours aucune protection juridique contre la violence domestique. Certains pays, comme la Russie en 2017, sont même allés jusqu’à légitimer et dépénaliser les violences conjugales.
Lorsque la loi protège, les moyens manquent
Là où théoriquement des lois protègent, comme par exemple contre le viol, le poids des mentalités et la peur du déshonneur de l’entourage empêchent encore souvent les victimes de porter plainte. Et lorsqu’elles arrivent à franchir le cap, elles doivent faire face à des propos les responsabilisant, un accueil inadapté, voire un cadre à nouveau violent. Même dans un pays comme la France, mobilisé il y a deux ans autour du Grenelle contre les violences conjugales, les réponses apportées sont insuffisantes. Une étude souligne que sur les 102 féminicides enregistrés en 2020, seule une femme était sous Ordonnance de Protection, c’est-à-dire de mesures de protection décidées par un·e juge. L’hébergement d’urgence manque aussi cruellement, ne laissant peu, voire pas, d’autre alternative pour les victimes que de rentrer chez elles et de s’exposer à de nouvelles violences, pouvant leur en coûter la vie. De plus, les condamnations des auteurs de violences – majoritairement des hommes – restent très faibles par rapport aux faits de violences conjugales connus des forces de sécurité.
Ainsi, même dans un pays qui a fait de l’égalité femmes-hommes sa « grande cause nationale » et qui accueillait le Forum Génération Égalité, les discours ne suffisent pas. Il est grand temps de passer aux actes.
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